Le terreau de l’amour inconditionnelUn bon usage du désir |
par Lama Shérab Namdreul
À Christiane M.
L'illusion Dans le contexte du désir, la saisie en la perception (agrégat) discriminante établit une désirabilité (caractérité) propre et intrinsèque à l'objet, l'appréhendant ainsi comme « objet de désir ». La ré-activité (agrégat samskara) engendre alors l'attachement – tout au moins dans un shéma karmique « classique » – nous faisant projeter en l'objet l’efficacité de combler le désir. Cette projection débouchera, tôt ou tard – et le plus tôt serait le mieux d’ailleurs – sur une contrariété existentielle (sct. Doukha). L’illusoire efficacité que l’on prête à l'objet de désir opère alors par compensation et satisfaction. Ainsi, la saisie du désir et de son objet ne peut combler ni le corps ni l’esprit. Pour autant, ce serait une erreur de vouloir rejeter le désir. On ne peut pas mettre fin au désir. Arriverions-nous à parfaire une abstinence totale à l'encontre de l’infinité de tous les objets de désir de tous les univers, l'abstinence n'a pour fonction que d’éluder des caractérités illusoires. De même, arriverions-nous à expérimenter tous les plaisirs que procureraient toute l'infinité des objets de désir de tous les univers, le plaisir n'a que le sens d'être un plaisir et ne peut combler le désir. On ne peut pas mettre fin au désir, on ne peut pas tuer le désir. Faudrait-il au moins qu’il ait une substantialité pour pourvoir le faire. Le désir est vide de réalité intrinsèque. Cette attitude de rejet au désir est vaine et tout aussi vouée à l’échec que de vouloir se servir du désir pour combler nos manques. Tout au plus pourrions-nous réprimer tout élan vers un objet de désir, mais ce serait finalement en faire un « objet de répulsion ». Dans ce type de schéma karmique, la perception d'une désirabilité en un objet de conscience susciterait alors une ré-action (st. Samskara) d’aversion. Cette démarche n’a pas la vertu de désillusionner. Le bon usage du désir Par défaut de discernement, la soif s'empare du désir et introduit une codification des caractérités imputés à l'objet. Cette codification s'appelle « discrimination ». Cette discrimination est sous l'influence d’impulsions karmiques antérieures. À l’instant où le sujet acquiesce à la satisfaction pour seul contentement à la soif, un shéma karmique impacte notre devenir. En résumé, en ce qui concerne le désir, la racine de l’illusion se trouve en la saisie d’une altérité en l’objet de désir. Réalisant l’absence d’altérité de l’objet, celui-ci ne peut être instrumentalisé par l’attachement qui consiste à donner à l’objet de désir, la tâche de combler un manque. Amour inconditionnel Nous constatons tous les limites du désir et d'un autre côté, nous entrevoyons intuitivement le caractère inconditionnel qu'induit l'idée de « l'amour véritable ». Pour la plupart d'entre nous, nous y aspirons volontiers, mais nous nous confrontons à l'ampleur du travail à accomplir sur soi. L'idée même d'inconditionnel réveille tant d'idéalisations qu'on peut finir par se résigner ou se contenter d’une exaltation auto-persuasive. Face à nos insatisfactions, nous sommes souvent excessifs et envisageons une idée de solution diamétralement opposée à l’idée du problème. Alors nous opposons désir et amour pur. Le problème serait le désir en tant que tel et la solution serait d’éviter le désir pour arriver à un amour inconditionnel et véritable. Quand nous souffrons d’un mal-être, notre réflexe habituel est de résoudre ce mal-être. Le manque d’analyse et de discernement nous amène dans une démarche allopathique et prophylactique. Nous nous contentons de traiter le symptôme que sont l’insatisfaction et la souffrance et non pas la cause qu’est la soif. Pour continuer le parallèle avec la médecine, c’est en quelque sorte faire un usage systématique d’anti-biotique. Avec cette attitude, l’idée d’amour inconditionnel risque de suggérer le phantasme de l’amour idyllique, voire de l’amour platonique, l’amour tout pur, tout propre, finalement, un amour aseptisé. Condition et inconditionnel C’est la soif qui, avec ses inexorables tentatives de satiété (satisfaction), place des conditions. Que disposons-nous comme moyens pour démasquer ces conditions qui s'impliquent dans nos relations de désirs ? Nous disposons de « doukha », c'est-à-dire des insatisfactions et des contrariétés du désir comme la déception, l’amertume, la déprime et plus grave encore, la dépression etc. Tous les déboires du désir-attachement relèvent tous du sentiment de vanité. Il est d’abord nécessaire de les reconnaître et de les admettre comme telles pour éviter de se justifier des réactions comme la résignation, le cynisme, le reproche, l'aversion voire la haine. On procède ensuite à l’analyse et la méditation. Dans la vue vajra et plus particulièrement dans la vue du Sahaja, « doukha » est co-émergent au « siddhi », l'accomplissement. Le Bouddha Sakyamouni nous demande de constater doukha puis de renoncer aux causes de doukha qu'est l'ignorance, la soif, l'illusion, la saisie etc. En aspirant à l'Éveil, on se doit de changer nos rapports avec les désagréments et les inconforts de « doukha ». Il est important de comprendre que « doukha » est le symptôme de nos illusions et qu’il faut traiter la cause et non pas le symptôme. Rappelons que l'existence humaine procède du désir avec pour trame le lien à l'autre. C'est le challenge par excellence de l'existence humaine que de sublimer ce désir par un usage efficace dénué de soif, d'illusion et de conditions. Quelles sont ces conditions ? Tout particulièrement l’attachement qui consiste à placer en l'objet, la tâche, le devoir et/ou la responsabilité de combler le manque et, en conséquence, de « me rendre heureux ». L’objet de désir va devenir, plus ou moins consciemment, l'instrument de notre soif et de ses conditions. Dans les relations dites amoureuses, la confiance consentie à l'autre se caractérise, le plus souvent, par une liberté conditionnelle. Par « je sais que je peux lui faire confiance » on sous-entend « il fera ce que j'attends de lui ». La peur engendre ce type de confiance de « délégation » qui instaure un système de sanction-récompense. Il ne s'agit pas de faire un jugement moral de ce type de confiance. La question soulevée n'est pas d’ordre moral. C'est, somme toute, une question d'efficacité, comme d'ailleurs toute la méthodologie du Bouddha-dharma. Le problème est que les conditions qu'instaure la soif sont palliatives. Continuant d'ignorer d'ignorer, la soif tente des satisfactions qui sont précaires parce qu'elles sont une réunion de causes et circonstances. La soif et nos saisies ne résoudront jamais le manque existentiel ou la peur de ne pas être l’unique personne qui rend heureux ou encore de ne plus se voir existant à travers le désir de l'autre. Liberté (chant) Yogacharya sachant le désir, Le désir est vide de nature propre, La vue erronée provoque le manque Au sein même du désir, réalise Pratiquant le yoga de Toumo, Aussi ceux qui confondent Toumo
|